J’ai peut être vécu dimanche les plus belles émotions
de ma carrière sur les skis en remportant la Transjurassienne. Comme vous
m’avez portée, encouragée, les 68 kilomètres entre Lamoura et Mouthe, j’ai
souhaité vous livrer le récit de ma course de l’intérieur, c’est une façon de
revivre ces bons moments, de vous remercier, de remercier toutes les personnes
qui ont rendu cette victoire possible.
Les jours qui ont précédé la course, c’est sûr, je
suis un peu stressée. L’appréhension de pouvoir tenir un rythme soutenu sur une
distance inédite pour moi, les conditions météorologiques, l’envie de gagner…
bref, pour cette première, je voulais être à la hauteur de l’objectif que je
m’étais fixé : donner le meilleur de moi-même pour ne rien regretter. Et
la veille du départ, tout est rentré dans l’ordre. J’arrive à échanger avec Chloé, ma copine de toujours, qui trouve les mots justes. Elle m’a dit deux
choses : « tu viens pour te faire plaisir,
la Transju, c’est la plus belle course, celle où nous étions au bord de la
piste quand nous étions gamines pour encourager, ensuite, tu lèves les
yeux, tu regardes autour de toi ». Alors, dès le début, j’ai pris cette
option là, j’ai profité de ce voyage nordique et unique à travers le massif du
Jura et ces paysages que je connais bien. J'ai redécouvert les
villages, les pistes et me suis laissée porter par l’ambiance de cet événement
unique.
À l'arrivée avec mon fils et ma cloche, photo Pascal Sulocha |
Je n’ai pas fait de préparation spécifique pour la
course. Mais, comme je termine un gros cycle de travail en vue des Championnats
du Monde,
j’ai du ski dans les jambes. Il me manque juste une course longue distance
de référence cette année pour ne pas partir complètement dans l’inconnu. J’arrive
donc au départ confiante, mais aussi consciente de la montagne qui m’attend.
C’est mon premier départ sur cette course qui me fait rêver depuis mon enfance,
c’est le quarantième anniversaire de cette épreuve qui représente tant à mes
yeux, nous sommes sur le parcours initial, mes proches sont là. Alors, bien sûr,
la veille, j’ai la pression et l’envie de bien faire sur cette course que je
place si haut. C’est chez Alexis et Marika accompagnée du team que je mange et ajuste les derniers réglages. Et c'est chez Jean-Pierre Lacroix, mon ami et sponsor historique, qui
m’accueille à Bois d’Amont, que je passe une "bonne" dernière nuit de sommeil.
Le départ dans la combe du lac à Lamoura, c’est
mythique. Le décors de la combe, le silence des milliers participants avant le
coup de canon, la présence bienveillante de mon amie Aurore sur le bord de la piste, j’ai
fermé les yeux, je souriais intérieurement, tout le stress d’avant départ était
évacué, j’étais juste là pour en profiter et « lever les yeux » comme
m’a dit Chloé.
Après, évidemment, la course part vite. Jusqu’aux
Rousses, il faut rester concentrée, toujours se placer, et surtout ne pas
casser de bâtons. J’ai commencé à en profiter dans la montée de l’opticien, le
public, les encouragements, vous n’imaginez pas comme cela porte. A partir de
là, je commence à poser mon ski, à dérouler, à faire attention à ma technique.
Je suis avec un groupe de garçons, ça relaie, ça va vite, ils sont très
gentlemans avec moi.
Au départ, photo Benjamin Becker |
Ensuite, la traversée de Bois d’Amont est
inimaginable, j’ai l’impression de traverser mon village. Je passe devant les
gamelles fumantes de thé, j’entends les cloches, mon prénom, je reconnais des
visages, cette course est fantastique. Je fais le plein d’encouragements pour
aborder les premières pentes dans la forêt du Risoux, cette montée toujours
désignée « juge de paix » de la course par les spécialistes me fait
peur. C’est intense mais, finalement, cela se passe bien. J’arrive juste avec
une petite fringale au Chalet des Ministres. Je réussis à m’alimenter grâce à Thomas, perché là haut pour nous attendre, et à
relever la tête avant Bellefontaine, j'ai déjà fait une bonne partie de la course.
Je lève les yeux, je retrouve le silence, juste le
bruit des skis, des bâtons et quelques mots de mes compagnons d’échappée. Je me
laisse gagner par l’ambiance en passant le long de la Tourbière des Mortes, je
regarde défiler les pins à crochets, je ne me souviens pas que c’est si beau,
ne pas oublier de « lever les yeux ». A Chapelle-des-Bois, je réalise
que j’arrive dans le Doubs, les encouragements sont encore plus nombreux. A
l’entrée de la Combe des Cives, je croise le regard de la petite Julie, qui m’a
attendue dans le froid et le vent avec sa maman Anne-Sophie. Cette rencontre
furtive avec Julie, pour laquelle a été imaginé le projet Epidefi, me donne de
la force.
Et de la
force, il va m’en falloir pour aller jusqu’au bout. Je suis informée par Arnaud que ma
plus grand concurrente, et néanmoins amie, Céline Chopard-Lallier, revient sur moi. Bien sûr, il encourage Céline dans l'autre sens pour me dire qu'elle revient sur moi ! Est ce que je me serais
laissée gagner par la contemplation ? Non, c’est juste que la course est
longue et difficile. Je me remobilise pour aborder le Pré Poncet puis la montée de la Célestine dans les meilleurs dispositions. Je glisse bien, grâce au
travail du team, mes skis Salomon glissent très bien, je suis bien ravitaillée
par toute l'équipe. Et, contrairement à Mathias il y a cinq ans, le
vent me pousse… Il me reste dix kilomètres, et je dois puiser dans mes réserves
pour aller au bout. Au delà des cinquante kilomètres, je rentre dans une zone
d’inconnu.
Je reste
concentrée dans la descente – aller vite, ne pas tomber, poser mon ski -
l’ambiance à Chaux-Neuve puis Petite-Chaux me saisit. Jusqu’au bout je
m’affaire, bien skier, skier propre, pour ne pas que Céline me revienne dessus.
Et c’est seulement un kilomètre avant l’arrivée que je commence à réaliser avec
un seul objectif : viser juste pour passer ma tête dans l’attache de la
cloche !
Ensuite, je
vis peut être les plus belles émotions de ma carrière. Je suis accueillie par
Roxana Maracineanu, la Ministre, et surtout par mon fils. Je réalise qu’il aura
maintenant deux cloches à la maison, celle qui vient de m’être remise va
rejoindre sur l’étagère celle que Mathias a gagnée en 2014… Je croise le regard
de ma maman que j’encourageais quand j’étais petite sur ce même parcours. Comme
elle, je suis maintenant curieuse de savoir quand Théo, mon petit frère,
terminera la course. Céline arrive quelques minutes après moi, puis c’est au
tour de Alicia. Comme je suis heureuse de partager ce podium avec mes copines
du Team Grenouille, auquel je suis fière d’appartenir. Je
réponds aux questions, je reste dans l’aire d’arrivée, j’attends Théo.
Le triplé pour les Grenouilles, photo Nordic Magazine |
Maintenant
je pense à toutes les personnes à remercier, cette victoire individuelle est
une histoire collective. Il y l’équipe
technique du Team Nordique Crédit Agricole Franche-Comté, bien sûr, pour la préparation
des skis et les ravitaillements, l'entraineur Arnaud Durand pour ses conseils avisés, le météorologue (@ded_meteo) pour les prévisions si
justes. Et puis mes proches et mes sponsors, qui m’ont permis de réaliser ce rêve de petite
fille. Comme Mathias, j’ai rapporté une cloche à la maison, et comme ma maman, je
peux dire : « ça y est je l’ai fait, je suis devenue une vraie
skieuse ».