mardi 12 février 2019

Le bonheur

J’ai peut être vécu dimanche les plus belles émotions de ma carrière sur les skis en remportant la Transjurassienne. Comme vous m’avez portée, encouragée, les 68 kilomètres entre Lamoura et Mouthe, j’ai souhaité vous livrer le récit de ma course de l’intérieur, c’est une façon de revivre ces bons moments, de vous remercier, de remercier toutes les personnes qui ont rendu cette victoire possible.


À l'arrivée avec mon fils et ma cloche, photo Pascal Sulocha
Les jours qui ont précédé la course, c’est sûr, je suis un peu stressée. L’appréhension de pouvoir tenir un rythme soutenu sur une distance inédite pour moi, les conditions météorologiques, l’envie de gagner… bref, pour cette première, je voulais être à la hauteur de l’objectif que je m’étais fixé : donner le meilleur de moi-même pour ne rien regretter. Et la veille du départ, tout est rentré dans l’ordre. J’arrive à échanger avec Chloé, ma copine de toujours, qui trouve les mots justes. Elle m’a dit deux choses : « tu viens pour te faire plaisir, la Transju, c’est la plus belle course, celle où nous étions au bord de la piste quand nous étions gamines pour encourager, ensuite, tu lèves les yeux, tu regardes autour de toi ». Alors, dès le début, j’ai pris cette option là, j’ai profité de ce voyage nordique et unique à travers le massif du Jura et ces paysages que je connais bien. J'ai redécouvert les villages, les pistes et me suis laissée porter par l’ambiance de cet événement unique.

Je n’ai pas fait de préparation spécifique pour la course. Mais, comme je termine un gros cycle de travail en vue des Championnats du Monde, j’ai du ski dans les jambes. Il me manque juste une course longue distance de référence cette année pour ne pas partir complètement dans l’inconnu. J’arrive donc au départ confiante, mais aussi consciente de la montagne qui m’attend. C’est mon premier départ sur cette course qui me fait rêver depuis mon enfance, c’est le quarantième anniversaire de cette épreuve qui représente tant à mes yeux, nous sommes sur le parcours initial, mes proches sont là. Alors, bien sûr, la veille, j’ai la pression et l’envie de bien faire sur cette course que je place si haut. C’est chez Alexis et Marika accompagnée du team que je mange et ajuste les derniers réglages. Et c'est chez Jean-Pierre Lacroix, mon ami et sponsor historique, qui m’accueille à Bois d’Amont, que je passe une "bonne" dernière nuit de sommeil.

Le départ dans la combe du lac à Lamoura, c’est mythique. Le décors de la combe, le silence des milliers participants avant le coup de canon, la présence bienveillante de mon amie Aurore sur le bord de la piste, j’ai fermé les yeux, je souriais intérieurement, tout le stress d’avant départ était évacué, j’étais juste là pour en profiter et « lever les yeux » comme m’a dit Chloé.
Après, évidemment, la course part vite. Jusqu’aux Rousses, il faut rester concentrée, toujours se placer, et surtout ne pas casser de bâtons. J’ai commencé à en profiter dans la montée de l’opticien, le public, les encouragements, vous n’imaginez pas comme cela porte. A partir de là, je commence à poser mon ski, à dérouler, à faire attention à ma technique. Je suis avec un groupe de garçons, ça relaie, ça va vite, ils sont très gentlemans avec moi.


Au départ, photo Benjamin Becker
Ensuite, la traversée de Bois d’Amont est inimaginable, j’ai l’impression de traverser mon village. Je passe devant les gamelles fumantes de thé, j’entends les cloches, mon prénom, je reconnais des visages, cette course est fantastique. Je fais le plein d’encouragements pour aborder les premières pentes dans la forêt du Risoux, cette montée toujours désignée « juge de paix » de la course par les spécialistes me fait peur. C’est intense mais, finalement, cela se passe bien. J’arrive juste avec une petite fringale au Chalet des Ministres. Je réussis à m’alimenter grâce à Thomas, perché là haut pour nous attendre, et à relever la tête avant Bellefontaine, j'ai déjà fait une bonne partie de la course.

Je lève les yeux, je retrouve le silence, juste le bruit des skis, des bâtons et quelques mots de mes compagnons d’échappée. Je me laisse gagner par l’ambiance en passant le long de la Tourbière des Mortes, je regarde défiler les pins à crochets, je ne me souviens pas que c’est si beau, ne pas oublier de « lever les yeux ». A Chapelle-des-Bois, je réalise que j’arrive dans le Doubs, les encouragements sont encore plus nombreux. A l’entrée de la Combe des Cives, je croise le regard de la petite Julie, qui m’a attendue dans le froid et le vent avec sa maman Anne-Sophie. Cette rencontre furtive avec Julie, pour laquelle a été imaginé le projet Epidefi, me donne de la force.

Et de la force, il va m’en falloir pour aller jusqu’au bout. Je suis informée par Arnaud que ma plus grand concurrente, et néanmoins amie, Céline Chopard-Lallier, revient sur moi. Bien sûr, il encourage Céline dans l'autre sens pour me dire qu'elle revient sur moi ! Est ce que je me serais laissée gagner par la contemplation ? Non, c’est juste que la course est longue et difficile. Je me remobilise pour aborder le Pré Poncet puis la montée de la Célestine dans les meilleurs dispositions. Je glisse bien, grâce au travail du team, mes skis Salomon glissent très bien, je suis bien ravitaillée par toute l'équipe. Et, contrairement à Mathias il y a cinq ans, le vent me pousse… Il me reste dix kilomètres, et je dois puiser dans mes réserves pour aller au bout. Au delà des cinquante kilomètres, je rentre dans une zone d’inconnu.

Je reste concentrée dans la descente – aller vite, ne pas tomber, poser mon ski - l’ambiance à Chaux-Neuve puis Petite-Chaux me saisit. Jusqu’au bout je m’affaire, bien skier, skier propre, pour ne pas que Céline me revienne dessus. Et c’est seulement un kilomètre avant l’arrivée que je commence à réaliser avec un seul objectif : viser juste pour passer ma tête dans l’attache de la cloche !


Le triplé pour les Grenouilles, photo Nordic Magazine
Ensuite, je vis peut être les plus belles émotions de ma carrière. Je suis accueillie par Roxana Maracineanu, la Ministre, et surtout par mon fils. Je réalise qu’il aura maintenant deux cloches à la maison, celle qui vient de m’être remise va rejoindre sur l’étagère celle que Mathias a gagnée en 2014… Je croise le regard de ma maman que j’encourageais quand j’étais petite sur ce même parcours. Comme elle, je suis maintenant curieuse de savoir quand Théo, mon petit frère, terminera la course. Céline arrive quelques minutes après moi, puis c’est au tour de Alicia. Comme je suis heureuse de partager ce podium avec mes copines du Team Grenouille, auquel je suis fière d’appartenir. Je réponds aux questions, je reste dans l’aire d’arrivée, j’attends Théo.

Maintenant je pense à toutes les personnes à remercier, cette victoire individuelle est une histoire collective. Il y l’équipe technique du Team Nordique Crédit Agricole Franche-Comté, bien sûr, pour la préparation des skis et les ravitaillements, l'entraineur Arnaud Durand pour ses conseils avisés, le météorologue (@ded_meteo) pour les prévisions si justes. Et puis mes proches et mes sponsors, qui m’ont permis de réaliser ce rêve de petite fille. Comme Mathias, j’ai rapporté une cloche à la maison, et comme ma maman, je peux dire : « ça y est je l’ai fait, je suis devenue une vraie skieuse ».

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